16 avril 2008

La vidéosurveillance ne sert à rien à Louviers

Photo satellite : « Nos téléphones portables sont des mouchards, nos ordinateurs des balances. Les libertés individuelles se réduisent au rythme du développement des nouvelles technologies. » Thierry Rousselin a accordé un entretien au journal « Le Monde » dont nous publions un extrait de l'article paru le 11 avril.
La majorité du conseil municipal a voté 450 000 euros (et ce n’est pas fini) pour équiper un quartier de Louviers en caméras de surveillance. Nous nous sommes livré à des recherches récentes sur la vidéosurveillance pour vérifier si ce qu’avancent ses laudateurs est justifié. Nos lecteurs jugeront. Quant à nous, notre choix est fait : Pas de vidéosurveillance à Louviers !

Des chiffres
Le nombre de caméras de vidéosurveillance va être multiplié par trois dans les deux ans à venir sur les voies publiques. En 2012, notre pays comptera 1 million d'appareils sur l'ensemble du territoire (sur les domaines public et privé). Une majorité de Français, de gauche comme de droite, sont favorables à cette vidéosurveillance qui compte aujourd’hui 20 000 caméras sur la voie publique et devrait atteindre 60 000 d'ici 2009. 35 % des personnes interrogées (sondage Ipsos) craignent une restriction des libertés publiques contre 65 % qui ne sont pas inquiets. Chez les moins de 35 ans, ils sont 50 % à craindre cette restriction !

Parkings et transports
S'agissant des lieux d'implantation, les Français répondent qu'ils privilégient les transports en commun, les parkings, devant les écoles et les centres commerciaux. Le maire de Louviers justifie l'installation de ces caméras parce que « les habitants craignent chaque soir, de voir leur voiture flamber ! »
Alex Turk, président de la Commission nationale informatique et libertés, a prononcé un discours à Londres en novembre 2006 dont nous extrayons les passages suivants : « Nous sommes confrontés à une immense vague technologique qui bouleverse sur son passage, nos traditions juridiques, l'application de nos concepts et pour finir les grandes certitudes que nous pouvions encore entretenir, nous, autorités de protection des données sur l'effectivité de notre action.» …« Cette vague sécuritaire s'est traduite par la création ou l'extension de nombreux fichiers et la mise en place, au profit des autorités de police, de nouveaux moyens d'investigation dans les systèmes d'information qui pourrait bien submerger nos autorités…On constate que nos autorités de contrôle faute de moyens suffisants, ne peuvent accomplir correctement toutes leurs missions, piétinent face à l'émergence de nouvelles problématiques de protection des données et se sentent parfois impuissantes face au déferlement de ces vagues alors qu'on attendrait de leur part, tout au contraire, un positionnement fort et un interventionnisme accru. Une prise de conscience collective est nécessaire et urgente si nous ne voulons pas faillir à notre mission. »

Les dérives
Face à cette progression constante d'installation de caméras, la CNIL continue d'alerter l'opinion et les pouvoirs publics sur les dérives toujours possibles liées à cette installation massive d'équipements.
Sébastien Roché, directeur de recherches au CNRS, a réalisé une étude sur les villes de Strasbourg, Lyon et Grenoble. Il indique qu'il a du mal à mesurer l'impact de la vidéosurveillance sur la baisse de la criminalité. « La délinquance baisse aussi dans les villes où il n'y a pas de vidéosurveillance » constate-t-il. Tous s'accordent sur un point : la vidéosurveillance est un élément de la politique urbaine qui ne doit pas être le seul. L'éclairage des rues sombres, la propreté des lieux, la suppression des bosquets et autres lieux de cachette participent à la sécurisation globale de la ville.
(le sondage a été réalisé par Ipsos les 2 et 3 novembre 2007 auprès de 948 personnes.)

Atteinte aux droits de l'homme
La Commission juridique des droits de l’homme du conseil de l’Europe a publié une étude le 4 janvier 2008 (doc 11478) résumée ainsi : la vidéosurveillance est de plus en plus répandue dans les lieux publics. L’augmentation du « sentiment d’insécurité » a contribué à faire accepter la vidéosurveillance comme un outil de prévention et de détection de la criminalité. On constate que la vidéosurveillance peut porter atteinte aux droits de l’homme. Il convient donc d’apporter des garanties juridiques, procédurales et techniques afin d’assurer un recours à la vidéosurveillance en conformité avec les dispositions de la convention européenne des Droits de l’Homme telles qu’interprétées par la Cour de Strasbourg.
Les Etats membres devraient systématiquement utiliser des moyens techniques permettant de restreindre l’atteinte aux droits de la personne (1). La commission préconise l’adoption d’une signalétique uniformisée de la vidéosurveillance…
(1) Les grossissements, les logiciels, les orientations des caméras dans les chambres ou les appartements, les gens qui les manipulent, les usages des données numériques (publicitaires, financières) la connaissance des identités des personnes filmées…tout cela pose des problèmes insuffisamment réglementés.

Qu’en est-il à Louviers ?
Le maire a fait voter 450 000 euros au budget (soit plus de 5 points d’impôts) pour équiper le quartier des Acacias en vidéosurveillance et avant d'en équiper d'autres. Dans une interview donnée au journal Le Monde (article publié le 11 avril) Therry Rousselin, coauteur de « sous Surveillance » répond à une question sur l’engouement des maires Français pour la vidéosurveillance : « C’est très irrationnel. Mme Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur affirme « que l’efficacité de la vidéosurveillance pour améliorer de façon significative la sécurité quotidienne n’est plus à démontrer. » Pourtant, il n’existe pas de travail de recherche qui confirme l’efficacité des caméras. Très souvent, derrière les systèmes technologiques, il y a l’incapacité du pouvoir à apporter de vraies réponses aux problèmes posés. On installe des caméras parce que c’est visible et que cela coûte moins cher que d’embaucher des gens et de conduire un véritable travail de terrain. »
… Tout le monde s’y met donc alors qu’au Royaume uni (25 millions de caméras) la plupart des bilans sont très mitigés. L’effet est très faible en matière de prévention et dissuasion surtout sur les atteintes aux personnes (bagarres, viols…) souvent dues à des gens au comportement impulsif qui se fichent bien de savoir s’ils sont filmés. C’est pareil pour le terrorisme : les fous de Dieu ou d’une cause quelconque seraient même heureux de passer ainsi à la postérité.
Quant aux petits délits comme ceux pratiqués par les pickpockets dans le métro, ils sont trop rapides pour être repérés et leurs auteurs passent à l’acte dans des lieux aux multiples issues. La vidéosurveillance est surtout une aide précieuse dans la résolution d’enquêtes a postériori. »

Notre constat
Si la vidéosurveillance peut être tolérée (malgré les nombreuses dérives) dans des grandes métropoles fortement urbanisées, il en va tout autrement dans une petite ville comme Louviers où le travail de proximité est parfaitement possible. Plutôt que d’équiper son quartier en caméras, l’adjoint à la tranquillité (on admirera l'euphémisme) aurait dû s’informer sur les avantages et inconvénients d’un système qui, on l’a lu, n’est pas concluant dans le domaine visé : la prévention. Ces 450 000 euros auraient dû être utilisés à d’autres fins. Il faut cesser d'équiper les quartiers en vidéosurveillance.

Très important
Toute personne intéressée peut s’adresser au responsable d’un système de vidéosurveillance afin d’obtenir un accès aux enregistrements qui la concernent ou d’en vérifier la destruction dans le délai fixé par l'autorisation préfectorale. Le délai de conservation des images ne peut dépasser un mois, sauf procédure judiciaire en cours. Cet accès est de droit (loi relative à la sécurité du 21 janvier 1995).

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