27 novembre 2008

Quand le socialisme est soluble dans le présidentialisme

Paul Alliès, professeur de science politique a écrit ce texte :

« La crise majeure qui affecte le Parti socialiste est le résultat de plusieurs renoncements depuis 2002 au moins : refus d’analyser les causes de l’élimination au deuxième tour de la présidentielle de cette année-là, notamment de la perte des couches populaires au profit de la droite et de l’extrême-droite; désertion du terrain des idées donc des valeurs ; installation dans un système de notables nourri au lait du cumul des mandats et des pouvoirs locaux ; paralysie sur la question européenne. Mais il y a une cause organique à tout cela : c’est l’identification non assumée au présidentialisme de la V° République. La transformation du parti en écurie présidentielle a ruiné toute tentative de rénovation et a ramené la dernière en date, celle de Ségolène Royal, à une entreprise suicidaire.

La candidature de celle-ci est survenue dans un contexte où l’appareil du parti s’employait à réduire autant que possible le nombre de challengers. Au printemps 2006, François Hollande faisait adopter par le Conseil national une nouvelle règle : l’obligation d’un parrainage de trente membres de celui-ci pour prétendre à une déclaration de candidature. Arnaud Montebourg comme Jack Lang furent ainsi éliminés en silence. Le même Conseil instaurait le régime des adhérents à 20 euros qui devait devenir un sujet de discorde et de suspicion jusque dans les plus petites sections. Le Premier secrétaire n’était pas pour autant candidat pour des raisons demeurées obscures et en dépit de la logique du système. L’organisation de primaires fermées mais fortement médiatisées permettait du coup à l’outsider qu’était Royal d’incarner l’espoir d’un changement aussi bien dans le parti qu’au sommet de l’Etat. Les 60% de suffrages recueillis en témoignèrent. Elle reprit opportunément à son compte, plus durant la campagne interne d’investiture que dans la campagne officielle, le thème du changement de République incluant la démocratie participative. C’était nouveau.

Cette construction d’une réelle alternative s’arrêta avec les 16,8 millions de voix pour Royal le 6 mai 2007, conçues comme une victoire et un capital personnel pour la présidentielle future. Au Conseil national du 23 juin, il était possible de réclamer une consultation des militants pour obtenir un congrès rapproché et faire en temps utile le bilan collectif de l’échec des présidentielles, ce que ne voulait pas Hollande. Royal en fut totalement absente et à partir de là multiplia les initiatives pour contourner le Parti comme si elle actait que sa rénovation était impossible. Elle redoubla alors d’effort pour imposer sa candidature en 2012 comme « incontournable » (voir le discours du Zénith). Confrontée à une opinion largement répandue chez les militants selon laquelle le congrès de Reims ne devait pas être un congrès de désignation du ou de la candidate à la présidentielle, elle mit sa candidature à la direction du parti « au frigidaire ». C’est ce jour-là qu’elle gagna contre Delanoë, distingué par ses visées présidentielles et directionnelles. Mais elle l’en ressortit bien vite à la veille du congrès, Vincent Peillon étant ravalé au statut bâtard de « Premier secrétaire délégué ». Les 29% de voix (dont beaucoup de Fédérations ultra-conservatrices) recueillies sur sa motion étaient un signe qu’il n’y avait pas de majorité dans le parti pour rééditer l’opération de 2006, directement corrélée à l’élection présidentielle. Il n’en fut tenu aucun compte. Nous en sommes donc à un stade où l’imposition par voie juridictionnelle de la candidate apparaît à plusieurs de ses partisans comme la seule issue à la crise politique générale et mulifactorielle du parti.

Force est donc de constater que la dépolitisation de celui-ci, l’appauvrissement de ses débats se poursuivent au rythme des mobilisations présidentielles en son sein. La procédure des primaires ouvertes qui serait susceptible de préserver l’avenir des ambitions et de les déconnecter du fonctionnement normal du parti n’a pas été discutée un seul instant durant les débats de ce congrès ; Royal y préféra l’idée, proprement stupéfiante, d’un référendum interne pour ou contre l’alliance avec le MODEM. Le congrès aurait pu lancer une « adresse au Peuple de France » traitant de la crise et de ses issues tant les divergences sur le fond n’étaient pas apparues telles que cette démarche ne puisse être suivie. Au lieu de cela, c’est la fascination pour une conquête du pouvoir par le haut qui l’a emporté et qui a broyé les aspirations démocratiques des militants comme leur aptitude, assez remarquable à se mobiliser fortement pour les exprimer.

D’aucuns, et notamment dans l’entourage de Royal, ont défendu l’idée d’en finir avec la proportionnelle pour lui préférer un système majoritaire simplificateur mais si efficace. Ils exploitent l’incohérence (une de plus) que Lionel Jospin établit au congrès de Brest en greffant le modèle de l’élection présidentielle à la française (seulement deux candidats au second tour) sur une proportionnelle parlementaire intégrale. Or ce parti ne se redressera pas s’il continue à se calquer toujours plus sur un régime bonapartiste et ses mœurs populistes. Formons donc le voeu que l’élection si complexe de Martine Aubry, qui ne s’est pas bâtie sur une stratégie présidentielle (c'est au moins çà) soit le signal d’un retour à la raison politique et à un socialisme démocratique indissoluble dans l’alcool du présidentialisme.

Paul Alliès, Professeur de science politique, Directeur du Département de sciences politiques de l'Université de Montpellier I, Directeur de la revue Pole Sud

Coordonnées professionnelles CEPEL, Faculté de Droit, 39 rue de l'Université, 34060 Montpellier Cedex Tél. 04 67 60 61 08 contact : paul.allies@univ-montp1.fr

Aucun commentaire: