2 septembre 2011

Outrage au drapeau : fin de partie pour le gouvernement, et vigilance à Caen où la liberté d’expression doit triompher

A la suite du recours de la Ligue des droits de l’Homme contre le décret n°2010-835 du 21 juillet 2010 relatif à « l'incrimination de l'outrage au drapeau tricolore », le Conseil d’Etat a recadré l’infraction d’outrage au drapeau (décision du 19 juillet 2011).

Rappelons que la loi de 2003 sur la Sécurité intérieure avait incriminé
« le fait, au cours d'une manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques, d'outrager publiquement l'hymne national ou le drapeau tricolore ». Il convenait de faire taire ces mauvais Français qui sifflaient la Marseillaise dans les stades, et pour faire bonne mesure, le gouvernement Raffarin avait ajouté le drapeau, sait-on jamais. Les auteurs risquent depuis 7 500€ d'amende, et six mois de prison s'ils ont commis les faits en réunion (article 433-5-1 du code pénal) : on ne plaisante pas avec les symboles de la République.

Voilà qu’en 2010, la Fnac organise un concours de photo amateur (depuis, les organisateurs ont été licenciés…) à Nice, avec une catégorie « politiquement incorrect », et que le gagnant est… l’auteur d’une photographie montrant un homme de dos s’essuyant les fesses avec la partie rouge du drapeau. L’ire de la Garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, est grande, et, entre deux voyages amicaux en Tunisie, où elle dispense de bons conseil en matière de liberté d’expression, de réunion, et d’association, elle trouve le temps de « répondre » à cette facétieuse provocation par une très sérieuse nouvelle incrimination visant, cette fois, de façon beaucoup plus large, comme contravention passible du tribunal de police, le fait, lorsqu'il est « commis dans des conditions de nature à troubler l'ordre public et dans l'intention d'outrager le drapeau tricolore :
1° de détruire celui-ci, le détériorer ou l'utiliser de manière dégradante, dans un lieu public ou ouvert au public ;
2° pour l'auteur de tels faits, même commis dans un lieu privé, de diffuser ou faire diffuser l'enregistrement d'images relatives à leur commission » (article R.645-15 du code pénal).

Or il se trouve que le premier délit avait fait l’objet d’un avis du Conseil constitutionnel en 2003, lequel l’avait sérieusement bordé, excluant de son champ d'application « les œuvres de l'esprit, les propos tenus dans un cercle privé ainsi que les actes accomplis lors de manifestations non organisées par les autorités publiques ou non réglementées par elles » (décision n° 2003-467 en date du 13 mars 2003, paragraphe 104).

Cette nouvelle infraction visant expressément à contredire le Conseil constitutionnel, la LDH a saisi le Conseil d’Etat pour voir annuler le nouveau décret signé du Premier ministre. Patatras pour le gouvernement et pour tous les députés de la droite populiste qui tiennent des discours pétainistes sur les ondes pour glaner les mauvaises herbes des terres frontistes ! En effet, le Conseil d’Etat précise que « ce texte n’a pas pour objet de réprimer » les outrages au drapeau « qui reposeraient sur la volonté de communiquer, par cet acte, des idées politiques ou philosophiques ou feraient œuvre de création artistique, sauf à ce que ce mode d’expression ne puisse, sous le contrôle du juge pénal, être regardé comme une œuvre de l’esprit ». Plutôt que d’annuler ce stupide décret, contraire à la liberté d’expression, la haute juridiction en propose une interprétation qui devrait permettre la réintégration à la Fnac avec les honneurs des organisateurs du concours, et aux juridictions saisies de relaxer les prévenus lorsque ceux-ci ne font que créer ou exprimer des idées politiques ou philosophiques.

L’Observatoire de la liberté de création, créé à l’initiative de la LDH, avec tous ses partenaires, approuve cette interprétation du texte et sera très vigilant quant à son application. D’autant que le 30 septembre, à Caen, un artiste de la compagnie de théâtre d'intervention L'Oreille arrachée comparaîtra pour avoir, le 15 juin 2011, avant une manifestation de protestation contre la baisse des subventions d’Etat dans la politique de la ville (Contrat urbain de cohésion sociale), revêtu, comme costume, une burqa tricolore, pour interpréter le personnage de « Nadine Hamouk, porte-parole des musulmans, transsexuels et patriotes de France ». Il avait, ainsi vêtu, rejoint la manifestation. Il doit être relaxé, et l’Observatoire de la liberté de création lui exprime son soutien.

Et puisque le public qui siffle la Marseillaise fait, lui aussi, de la politique, et se saisit là d’une opportunité rare de s’exprimer sur la façon dont le traite la République, il n’y a plus qu’à remettre les articles 433-5-1 et R.645-15 du code pénal dans la poubelle dont ils n’auraient jamais dû sortir.
 

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