22 novembre 2013

Le Parlement européen est aussi un cimetière pour les éléphants du parti socialiste…


Les listes de candidat(e)s présentées aux militants socialistes dans le cadre des futures élections européennes, hier soir, ont été loin de réunir l’unanimité des suffrages exprimés. De nombreux membres du PS ont souhaité faire savoir aux responsables du parti que les recherches d’équilibres internes et de reclassement de certaines personnalités battues au suffrage universel dans des circonscriptions françaises ne convenaient pas forcément avec le bilan de certain(e)s député(e)s sortant(e)s éliminé(e)s au cours d'une nuit de bureau national. En votant contre les listes proposées, ils ont manifesté un désaccord de fond et de forme.
Françoise Castex, députée européenne depuis 2004, n’était titulaire que de ce mandat de députée européenne. Farouchement hostile au cumul et fortement engagée à Strasbourg sur la protection des données personnelles, elle a accompli deux mandatures remarquables et aurait dû être reconduite. Elle n’a malheureusement pas bénéficié des protections dont a usé Claude Roiron, en Haute-Normandie (1) et a été balancée sans ménagement ni reclassement. Elle a publié un texte sur le site du Nouvel observateur qui mérite d’être lu avec attention.

« Le Parti socialiste a présenté ses listes pour les élections européennes au terme d'obscures négociations internes. Il semble assez difficile d'y lire une quelconque stratégie électorale globale pour les prochaines élections au Parlement européen. Il n'est pas sûr non plus que ces listes traduisent une vision claire du rôle de parlementaire européen, de la place que les socialistes français souhaitent conquérir dans cette institution, et plus généralement de l'influence que la France veut développer dans l'Union européenne.

Un peu de pédagogie

D'un point de vue électoral, il est clair que le Parti socialiste français ne considère pas les député(e)s sortant(e)s comme un atout pour la prochaine campagne. La délégation socialiste française au Parlement européen a pourtant tenté de convaincre que, dans un contexte politique difficile, il fallait une campagne longue durant laquelle les députés sortants pourraient expliquer leurs actions, leurs combats, leurs victoires même, dans un parlement pourtant dominé par la droite européenne.
Quand on sait la grande méconnaissance de nos concitoyens en ce qui concerne le fonctionnement des institutions européennes, le processus de décision et les responsabilités de chacun dans les choix opérés, il apparaît évident qu'un peu de pédagogie n'est pas superflue.
Cela suppose que la reconduction des sortants soit une priorité. Certes, l'exercice de composition de listes est toujours difficile, mais les socialistes français constituent durant le mandat 2009-2014 une toute petite délégation, et les choix pouvaient ne pas être trop déchirants !
Le résultat des négociations de constitution de ces listes pose d'autres questions sur l'investissent politique, et humain donc, que le Parti socialiste entend faire sur le Parlement européen par les hommes et femmes qui le représentent à Bruxelles et Strasbourg. Cela amène aussi à se demander quelle est la connaissance réelle (et la reconnaissance) du travail qui y est accompli et s'l existe une conscience que ce travail sert la cause du socialisme en général et du Parti socialiste français en particulier, des citoyens européens, de nos partenaires, de nos interlocuteurs ?

En d'autres termes, à quoi sert un(e) député(e) européen(ne) pour le Parti socialiste ?

Député européen, un mandat de longue haleine

Il faut rappeler la spécificité de ce mandat. L'efficacité d'un député, aussi brillant soit-il, dépend de son assiduité, notamment au sein des commissions parlementaires. Il y en a 20 au Parlement européen. Chaque député est titulaire dans l'une d'elle et suppléant dans une seconde. On imagine aisément que lorsqu'on est une délégation de 13 députés dans une assemblée de 750, chacun est isolé dans sa commission. L'absence de l'un à la place qui lui a été assignée entraine l'absence du Parti socialiste français tout entier dans un débat important, dans un processus législatif dont nous aurons ensuite à rendre compte à nos électeurs.
Ces conditions d'exercice du mandat nécessitent aussi que chaque député se forge une expertise dans un domaine particulier sur laquelle il appuiera son pouvoir de conviction et d'influence auprès de ses collègues des autres partis socialistes et sociaux-démocrates européens.
Tout candidat est légitime et tout député européen peut devenir un député compétent et efficace mais il faut être conscient que cette compétence et cette efficacité s'acquièrent et se confirment au cours des mandats. On reconnait en général que trois mandats est une "bonne" durée pour apprendre, confirmer et occuper enfin des postes d'influence au sein du Parlement.
Quelques députés français y parviennent. Ils sont rares à cause de ce "turn-over" infernal que pratiquent plus ou moins tous les partis politiques français. Parmi les socialistes français, on ne peut guère citer que Pervenche Berès et Catherine Trautmann qui ont accompli toutes les deux plus de trois mandats.

J'ai aimé ce mandat

Force est aussi de reconnaître que les hommes et femmes politiques français ont eux-mêmes intégré que ce n'est pas au Parlement européen "que l'on fait carrière" et que ce mandat est peu reconnu par leur parti. Beaucoup, dès lors, choisissent de quitter le Parlement européen en cours de mandat pour briguer un mandat national. Ce qui accélère encore ce "turn-over". C'est là une spécificité française qui nuit à l'influence que notre pays pourrait avoir dans cette assemblée.

Je fais partie de ces quelques politiques français qui se sont investis à plein temps et au-delà dans cet unique mandat, qui ont appris à l'appréhender et à l'aimer. J'ai la fierté de croire que j'ai contribué à faire comprendre à mes concitoyens le rôle des parlementaires dans le fonctionnement de l'Union européenne.
Le Parti socialiste n'a pas jugé utile de me donner la possibilité de poursuivre le travail que j'ai initié au Parlement européen sur les services publics ni de confirmer le travail d'influence que j'ai commencé sur le droit d'auteur ou la protection des données personnelles sur internet. Tout comme il n'a pas jugé utile de donner à Liêm Hang Ngoc la possibilité de devenir un député européen socialiste français qui compte sur les questions économiques et budgétaires. C'est du travail perdu.

Stop au turn-over

Bien sûr, il va arriver en mai 2014 de nouveaux députés compétents. Je ne doute pas un instant qu'ils vont s'engager à 100% dans ce mandat et trouver leur domaine de spécialisation, mais il leur faudra encore au moins un mandat pour tenir une place qui compte. C'est du temps perdu.
Or, pendant que les partis politiques français font d'un siège au Parlement européen un enjeu de rapports de forces internes, les autres partis européens ont, quant à eux, bien compris l'intérêt d'envoyer à Strasbourg des femmes et des hommes engagés dans ce mandat unique et pour plusieurs mandats. En limitant le "turn-over" de leurs eurodéputés, nos voisins, au premier rang desquels les Allemands, s'assurent une influence prépondérante dans une assemblée dont les pouvoirs législatifs ne cessent de s'étendre.

Je forme le vœu que le Parti socialiste français comprenne vite l'importance politique et stratégique du Parlement européen dans la réorientation de l'Union européenne et que les prochaines désignations 2019, sur les listes européennes montrent que notre parti aura compris à quoi sert un(e) député(e) européen(ne). »

(1) Claude Roiron, conseillère générale d’Indre-et-Loire, conseillère municipale de Tours se retrouve seconde sur la liste « Nord-Normandie » pour être certaine ou à peu près certaine d’être élue…

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