24 janvier 2016

François Mitterrand, un homme d'ombre et de lumière…par Eric Roussel devant la Société d'études diverses de Louviers


Eric Roussel. (photo JCH)
500 livres ! 500 livres consacrés à la vie de François Mitterrand, sa longue carrière, son caractère bien trempé, sa forte présence dans l’histoire, sa place : à droite et à gauche. Romantique mais croix de feu, cynique mais intelligent, distant mais tellement fidèle en amitié, machiavélique et ambivalent, de gauche puis socialiste…François Mitterrand fut tout cela à la fois et toujours en même temps. Quel parcours, quel héros de roman. 

Dans son livre « De l’intime au politique » Eric Roussel, biographe, fait découvrir de nouvelles facettes de ce personnage d’exception, facettes qu’il a développées ce samedi devant les nombreux auditeurs invités par la Société d’études diverses dans la salle…du nom de Pierre Mendès France si dissemblable de l’ancien président de la République et en même temps tellement proches dans l’action à l’époque de la 4e République et jusqu’en 1981.

Eric Roussel est formel. S’il a été Croix de feu, François Mitterrand n’a jamais été cagoulard. Sa formation familiale de jeune bourgeois catholique le conduit à droite très tôt si bien qu’après son évasion de captivité (elle va changer son regard déjà acéré sur le monde) il devient un farouche supporteur de Pétain et de la Révolution nationale (1) ! A la mi-43, il entre en résistance et devient responsable du principal mouvement de prisonniers de guerre…un million d’hommes longtemps en quête de reconnaissance. Entre temps, Marie Louise terrasse (la future Catherine Langeais) dont François Mitterrand est éperdument amoureux a changé de fiancé, un refus qu’il ne parviendra jamais à vraiment surmonter. Eric Roussel lit même dans ce rejet de 1942 la naissance d’un cynisme dont François Mitterrand ne se départira plus jamais.

Le public de la Société d'études diverses. (photo JCH)
Le ministre de la 4e République…l’Outre mer et l’autonomie des peuples africains, le collaborateur de PMF au gouvernement et à l’Intérieur, l’affaire des fuites (2) l’Algérie et les exécutions de militants du FLN puis l’arrivée au pouvoir de son adversaire éternel, le général de Gaulle, conduisent François Mitterrand à sa traversée du désert. Pendant 23 ans, la gauche est absente du pouvoir mais cette période lui permet de concrétiser sa stratégie d’union de la gauche avec les communistes, de prendre le Parti socialiste en 1971 au nez et à la barbe des anciens de la SFIO et de se lancer vraiment à la conquête du pouvoir. Il gagne largement la confiance des Français en 1981.

Rapidement l’homme de Jarnac prend ses aises dans cette 5e République qu’il a honnie. Le monarque républicain surtout intéressé par la politique étrangère se moque malheureusement un peu trop de l’économie dans des nationalisations à outrance (laquelle se venge aujourd’hui) qui vont faire la richesse des porteurs d’obligations mais fait voter l’abolition de la peine de mort, libère les ondes, impose la 5e semaine de congés payés et se lance dans une grande politique culturelle et architecturale pensant ses deux septennats. Personnellement, je regretterai toujours certains reculs comme ce grand service public et laïque de l’éducation nationale condamné par la manif des ultras conservateurs ou « l’oubli » du vote des étrangers aux élections locales auquel la majorité des Français demeurent soi-disant hostiles…mais ne l’étaient-il pas également à la suppression de la peine de mort ?

Le second septennat vaudra surtout pour sa rivalité avec Michel Rocard, une grande habileté dans la cohabitation avec la droite, une politique européenne de conviction, grâce à Helmut Kohl aussi, même si Eric Roussel ne considère pas François Mitterrand comme un visionnaire. S’il a réussi l’Euro et l’acte unique, il a été surpris par la réunification de l’Allemagne et la disparition de l’URSS comme il l’avait été en mai 1968 pendant les événements d’un mois dans lesquels il lisait un monôme d’enfants gâtés. Il était l’homme d’une génération, d’une culture d’avant-guerre, il n’aimait pas trop le changement.

François Mitterrand à Louviers en 1981. (photo JCH)
Courageux. François Mitterrand l’a été moralement et physiquement. Atteint d’un cancer de la prostate dès sa prise de pouvoir en 1981, il fera face à la maladie à la fin de son second septennat avec une abnégation admirable se croyant même guéri en 1988 d’où sa candidature à la présidentielle de cette année-là. Peut-être cette maladie a-t-elle influencé certaines prises de décision…d’autres considèrent qu’il se trouvait en possession de 100 % de ses moyens intellectuels.

Il reste que François Mitterrand, selon les propos de François Loncle venu raconter ses déjeuners avec celui qui a imposé sa candidature à Louviers aux législatives de 1978, aura été « un grand président », un homme d’état à la hauteur de l’histoire. C’est incontestable. Même si l’homme n’a jamais exprimé de regrets ou de remords sur ses actions au pouvoir, nous avons été nombreux à déplorer en leur temps les aspects ombrageux voire scandaleux de certaines de ses actions : l’affaire du rainbow warrior, celle des Irlandais de Vincennes, Tapie au Gouvernement, son amitié avec Bousquet dont on dit qu’il lui a sauvé la vie sous l’occupation, le secret de l’existence de Mazarine et les écoutes…sans oublier le faux-vrai attentat de l’Observatoire où François Mitterrand a été la victime constante d’une manipulation du pouvoir.

Je ne veux pas rester sur ces remarques négatives. Très attaqué par la droite, dans un contexte international difficile (mais n’est-ce pas le lot commun des dirigeants ?) face à un parti communiste rapidement hostile et une deuxième gauche soupçonneuse, François Mitterrand a su conserver des lignes de force et s’appuyer sur des valeurs fondamentales. Le livre d’Eric Roussel foisonne de détails et de faits nouveaux. Quel délice, ces lettres à sa cousine devenue son amante de consolation ! Quelle plume !

(1)  Il a toujours nié avoir eu connaissance du statut des juifs après son retour de captivité mais il ne pouvait ignorer l’ostracisme du régime à l’égard des francs-maçons, des socialistes, des communistes et des progressistes en général.
(2)  PMF fit ouvrir une enquête par la DST sur l’auteur de fuites provenant du conseil de la défense nationale. Il n’en fit pas part à François Mitterrand, suspecté mais innocent, qui restera affecté toute sa vie par ce manque de confiance.

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