24 mars 2016

Gardons intacts nos sentiments compassionnels : faisons face et résistons, chacun à sa manière


Je n’ai pas pour habitude d’aborder des aspects de ma vie privée sur ce blog. J’en ferai donc une exception. Il s’agit de ma mère. Alors que mon père était encore prisonnier de guerre pendant les années 1944-1945, elle eut à subir, au sein de sa famille, une multitude de décès dus à des maladies qu’on soigne bien aujourd’hui (la tuberculose et la typhoïde notamment) mais également au cancer. Si je vous parle de ma mère c’est qu’elle me racontait, de son vivant, ces épisodes tristes de sa vie et une phrase me revient en mémoire : « Les morts se succédaient et on n’avait plus de larmes pour pleurer. »

C’était sans doute l’effet de ce que les psychologues appellent « l’épuisement compassionnel. » Autant notre disponibilité, notre émotion et notre capacité à partager sont vives lors des premières catastrophes personnelles ou collectives, autant notre faculté d’identification se dilue lorsque les événements dramatiques se succèdent au fil des mois et des années. On s’habitue, parait-il, on se protège, on fait le gros dos, en espérant qu’un terme sera mis (comment ? quand ?) à cette litanie de morts aussi soudaines que monstrueuses.

Allons-nous devenir à notre tour des épuisés compassionnels ? Janvier et novembre 2015…mars 2016, Londres, Madrid, Ankara, Istanbul, Damas, Paris, Bruxelles, Bamako, Boston…des bombes, des attentats, des fusillades et des morts. Des dizaines de morts, des centaines de blessés au nom d’un Dieu, leur Dieu devenu diable. Les morts des mécréants, des mauvais musulmans, des apostats, des athées, quel programme pour des islamistes djihadistes radicaux, des islamo-fascistes pour le dire en un mot, dont l’objectif principal, selon Gilles Kepel, est de faire monter l’extrême-droite dans les démocraties pour susciter l’islamophobie et déboucher sur une guerre civile et le chaos.

Les terroristes ont pourtant tort. Grâce aux réseaux sociaux, à une communication parfois envahissante mais inévitable, nous sommes spectateurs de ces atrocités en sachant que nul n’en est à l’abri et que des proches, des personnes aimées, ou tout simplement des inconnus devenus des amis d’infortune, qu’ils soient Blancs, Noirs, Métis, seront peut-être demain les victimes de cette violence aveugle.

Puisque la vie n’a aucun sens, trouvons-lui en un. Evitons les débats inutiles et inefficaces sur la déchéance de nationalité dont on mesure bien aujourd’hui l’incapacité à stopper le terrorisme, évitons les querelles subalternes sur Twitter où les Leroux (PS) Morano (LR) et Rachline ou Médard (FN) se ridiculisent autant qu’ils se discréditent. Faisons face et résistons puisque ce mot se charge lui aussi d'affect et de courage.

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