30 janvier 2016

Quelques réflexions au débotté : conseil régional, agglo Seine-Eure, législatives, front national, Thomas Fabius…


J’ignore si une majorité se dégagera en faveur de Marc-Antoine Jamet. Toujours est-il que Nicolas Mayer-Rossignol a proposé sa candidature au poste de président de la commission des finances du nouveau conseil régional. Puisque qu’Hervé Morin et ses colistiers ont proposé, fort démocratiquement, au principal groupe d’opposition la présidence de cette commission il est dans l’intérêt de tous qu’elle soit détenue par une personne capable de soumettre et de contrôler des mesures en faveur des habitants  des territoires des cinq départements normands.
Marc-Antoine Jamet, président sortant de la commission des finances de l’ancien conseil régional de Haute-Normandie, y a démontré toute sa science. Pendant des années, les finances de cette région ont été très bien tenues. Des marges de manœuvres dégagées. L’avenir protégé. Il est donc l’homme idoine. Mais eu égard à son caractère et sa personnalité parfois clivante (cf. son intervention brillantissime sur les indemnités des élus) le maire de Val-de-Reuil, premier secrétaire de la fédération PS de l’Eure, ne fait pas l’unanimité, surtout dans les rangs de la droite. Et alors ? Ce que doivent rechercher les élus régionaux est simple : un élu compétent, à la hauteur de la tâche…et surtout soucieux de l’utilisation rationnelle des fonds publics. Quand on décide de confier à l’opposition la présidence de la principale commission d’une assemblée, on doit en accepter toutes les conséquences. Qu’elles plaisent ou non. On verra très prochainement comment la majorité UDI-LR met en pratique ses velléités démocratiques.

Restons dans le domaine régional. Nous sommes nombreux à nous interroger, peut-être de manière prématurée d’ailleurs, sur la personnalité qui représentera la gauche avec quelques chances de gagner lors des prochaines élections législatives dans la circonscription de Louviers. Si François Hollande (ou quelqu’un d’autre à gauche) l’emporte lors de la présidentielle de 2017, ils seront nombreux à vouloir succéder à François Loncle sauf si celui-ci rempile pour un nième mandat. A cœur vaillant rien d’impossible.
Admettons que le député actuel décide de prendre — comme on dit — une retraite bien méritée, n’est-il pas élu (sauf 93-97) depuis 1981, cherchons qui pourrait le remplacer. A l’évidence, Bruno Questel, son suppléant actuel sera sur les rangs. La création de son groupe dissident du PS au conseil départemental, son adhésion (récente) au PRG (Parti radical de gauche) nous donnent une bonne idée des manœuvres en cours. Bruno Questel a compris que pour être désigné, il devrait contourner l’appareil départemental du PS. Il espère réaliser le coup de 1978 quand François Loncle, (MRG à l’époque) avait été désigné directement par François Mitterrand pour gagner la circonscription de Louviers. Ce qu’il fit en 1981 lors de la vague rose. Rien ne dit, bien sûr, que les socialistes de l’Eure laisseront se réaliser sans réagir ces comportements d’un temps révolu mais un accord « national » pourrait bien attribuer la 4e de l’Eure aux amis de Franck Martin et de Jean-Michel Baylet. Le feuilleton n’en est qu’à l’épisode 1.

La soirée de jeudi fut animée, paraît-il, lors de la séance plénière du conseil d’agglomération Seine-Eure. Les élus de l’opposition de gauche se sont levés comme un seul homme et ont quitté leur siège après avoir demandé en vain un nouveau vote suite à une décision confuse arithmétiquement. Patrice Yung, l’ancien président, a reproché à Bernard Leroy, son successeur de gérer l’agglo au fil de l’eau sans avoir de cap bien défini.
Le maire du Vaudreuil n’analyse pas ainsi la situation si bien que le budget, le gros morceau de l’ordre du jour, a ensuite été examiné par les délégués majoritaires et sans discussion. Malheureusement pour ceux et celles qui croyaient échapper aux questions ou aux demandes d’explications, le quorum n’était plus atteint (à un siège près)  si bien qu’il faudra à l’exécutif revenir devant l’assemblée pour voter à nouveau le BP 2016 ! C’est un truc vieux comme la démocratie locale. Quand une majorité fait face à une opposition, elle doit veiller à atteindre le quorum à elle seule. Simple précaution. Dans la commune du Vaudreuil, sans opposition, la question du quorum ne se pose pas et Bernard Leroy se montrera, dorénavant, plus vigilant pour faire voter en une seule séance son budget de l’agglo.

Souhaitons seulement que cet accident de parcours ne se renouvelle pas trop souvent car dans la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie (même si les situations ne sont pas exactement comparables) il a fallu douze heures à Xavier Bertrand, président, pour faire examiner les onze questions inscrites à l’ordre du jour. L’opposition systématique et tatillonne des membres du Front national, la seule présente depuis que la gauche a abandonné la partie, a réduit la séance à des batailles picrocholines sans aucun intérêt. Comme Marine Le Pen, la chef du FN était absente (et elle le sera souvent) un fantasque bras droit a voulu faire le malin et faire parler de lui.
Ce monsieur Hemery, peu connu au bataillon, a empoisonné l’atmosphère et certains de ses collègues n’ont pas été regardants sur les termes employés en direct. M. Darmanin, vice-président du conseil régional, a même décidé d’entamer une action juridique pour ramener à la raison ceux qui en manquent. J’ai souvent écrit sur ce blog combien les représentants du FN étaient plus portés sur le culturisme que sur la culture. 

Il ne faudrait pas mélanger les pères et les fils. Je sais bien qu'il est de bon ton, chez certains, de charger Laurent Fabius de tous les maux. Mais un père quel qu'il soit, ne peut être rendu responsable d'un fils majeur et vacciné. Si Thomas, l'un des enfants de l'actuel ministre des affaires étrangères a maille à partir avec la justice, il ne le doit qu'à ses éventuels délits et non parce qu'il a un père engagé en politique depuis toujours.
A-t-on reproché à Rachida Dati d'avoir un frère délinquant quand elle était ministre de la justice sous Sarkozy ? Si certains l'ont fait, ils ont eu tort. La force de la justice démocratique est qu'elle ne demande des comptes qu'à ceux dont la conduite pose problème individuellement et personnellement. J'imagine que Laurent Fabius doit être assez malheureux comme cela. Pas la peine d'en rajouter inutilement.

27 janvier 2016

Exigeons la sortie de l'état d'urgence : manifestation à Evreux samedi 30 janvier


« L’état d’urgence conduit à des décisions arbitraires des dérives autoritaires. Depuis novembre 2015, plus de trois mille perquisitions sont intervenues. Elles ont donné lieu à de nombreux dérapages, à un accroissement des discriminations à l’égard de populations déjà stigmatisées en raison de leur origine et/ou leur religion supposée ou réelle. Toutes ces mesures, dont l’efficacité n’est pas  démontrée, mettent à mal la séparation des pouvoirs : l’exécutif s’accapare le pouvoir législatif et relègue le pouvoir judiciaire hors de son rôle de gardien des libertés.
— Inscrire l’état d’urgence dans la Constitution c’est graver dans le marbre ce régime d’exception qui permet l’action des forces de sécurité sans contrôle du juge. Avec les moyens ainsi mis en place, il faut s’inquiéter des pouvoirs sans contrôle donnés à ceux qui pourraient arriver aux manettes de l’Etat...
— Inscrire le retrait de la nationalité française aux binationaux condamnés pour crimes terroristes, c’est porter atteinte au principe même d’égalité des citoyens, inscrit à l’article 2 de la Constitution, fondement de la République. C’est instituer, dans la loi fondamentale de notre pays, deux catégories de Français, ceux qui le seraient et ceux qui le seraient moins. C’est, de fait, remettre en cause le  principe d’une nationalité française ancrée dans le droit du sol. C’est aussi mettre dans la Constitution une mesure dont personne ne croit à l’efficacité en termes de  lutte contre le terrorisme, mais réclamée depuis longtemps par le Front national.
C’est banaliser la logique du rejet de l’autre. C’est s’exposer à ce que d’autres majorités politiques élargissent le champ des actes conduisant à la déchéance de nationalité.

N’acceptons pas la gouvernance de la peur : exigeons la sortie de l’état d’urgence !
Nous affirmons qu’il est nécessaire et possible que l’Etat protège les habitants face au terrorisme, sans remettre en cause les droits et les libertés. Nous refusons une société du contrôle généralisé, une société qui glisse de la présomption d’innocence au présumé potentiellement coupable. Ne donnons pas satisfaction aux terroristes qui cherchent justement à nous faire renoncer à notre vie démocratique.
L’état d’urgence contribue au renforcement des préjugés racistes, aux amalgames et aux pratiques discriminatoires. Notre pays a été blessé, mais loin d’en soigner les plaies, l’état d’urgence risque de les exacerber en appauvrissant notre démocratie, en délégitimant notre liberté. C’est pourquoi, nous demandons la levée de l’état d’urgence et l’abandon de cette réforme constitutionnelle.

Nous appelons tous les habitants de notre pays à développer la citoyenneté et à agir pour construire une société solidaire.
Manifestation à Evreux samedi 30 janvier à 14h30, place du Miroir d’eau
Collectif citoyen pour la sauvegarde des libertés et contre l’état d’urgence
Signataires : ATTAC Louviers, Ligue des droits de l’Homme (LDH) Réseau Education Sans Frontières (Collectif RESF27) Fédération de la Libre Pensée (LP27) Union Locale CGT Louviers-Val-de-Reuil, CGT Educ’action de l’Eure, FSU
Personnalités : Maryannick Deshayes, conseillère départementale, maire de Tostes, Alexis Fraisse, militant écologiste, Mehdi Locatelli, avocat
Soutenu par : Humanisme Ecologie République, NPA, Ensemble27, Parti de Gauche, PCF

Christiane Taubira, femme rebelle, quitte le gouvernement


Intenable. La présence au gouvernement de Manuel Valls de Christiane Taubira devenait intenable. On n'imagine pas une ministre de la justice siéger au banc des ministres avec à ses côtés le premier d’entre eux exposant les motifs d’un texte désapprouvé par celle-là même qui aurait dû le porter. J’entends d’ici les cris et les hurlements des députés de droite. Ils auraient été trop heureux de se « payer » celle que, depuis des années, ils agressent verbalement (pour le moins) pour ce qu’elle est, ce qu’elle représente et ce qu’elle défend.

Christiane Taubira, je l’ai écrit maintes fois sur ce blog, fait honneur à la politique et au débat d’idées. Qu’elle ait des convictions chevillées au corps, personne ne pourra à gauche les lui reprocher. Qu’elle se batte pour elles dans et hors du gouvernement, n’est pas étonnant compte tenu des constantes prises de position d’une femme rebelle peu habituée à se laisser dicter sa conduite et encore moins à accepter des propositions contraires à ses engagements.

La voilà donc boutée hors de l’exécutif. C’est sans doute un soulagement pour elle-même d’abord, pour ceux qui l’apprécient ensuite et enfin pour le président de la République. François Hollande ne pouvait conserver à ses côtés une femme libre. Une femme qui ne pouvait plus continuer « à fermer sa G……» comme disait Jean-Pierre Chevènement et qui, logiquement, a décidé de mettre fin à son calvaire des dernières semaines.

Comment aurait-elle pu accepter la déchéance de nationalité, et même la poursuite de l’état d’urgence sauf « péril imminent » selon des indices que tout un chacun ne possède pas ? Je mettrais enfin un bémol (injustifié peut-être) à l’action de Christiane Taubira au travers de sa possible amitié avec Bernard Tapie. J’écris possible car rien de concret ne peut lui être reprochée sinon leur ancienne présence commune au sein des radicaux de gauche. Les hésitations de Jérôme Cahuzac à l’égard du dossier Tapie ne sont peut-être pas les seules à s’être exprimées en faveur de l’affairiste. Mais cela reste du domaine des supputations.

Pour ses talents de tribunicienne, sa défense des causes justes comme la loi sur le mariage pour tous qui restera gravée dans toutes les mémoires au point que même Sarkozy s’engage à ne pas la modifier s’il revient au pouvoir, Christiane Taubira mérite de retrouver son siège à l’Assemblée nationale. Les voix puissantes n’y sont pas légion.

Une lettre de soutien à Jean-Louis Bianco, à la tête de l'Observatoire de la laïcité


Dans une missive au président de la République, cent cinquante universitaires et chercheurs rappellent le «travail salutaire» à la tête de l’Observatoire de la laïcité de Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène alors qu’ils sont contestés par le Premier ministre.
« Monsieur le Président, Notre pays a été secoué durant l’année 2015 par les événements dramatiques qui ont à la fois rapproché les Français et nourri des antagonismes identitaires. Sous votre direction, les services de l’Etat ont réagi avec rapidité et efficacité face aux attaques terroristes répétées et d’une ampleur inédite sur notre territoire.
Dans l’adversité, alors que les angoisses légitimes des Français peuvent conduire à des amalgames qui renforceraient l’adversaire, nous croyons qu’il importe de garder recul et équanimité. C’est à cette condition que l’Etat de droit républicain sera préservé dans ses principes fondamentaux de liberté, d’égalité et de fraternité. Nous voudrions, à cet égard, en tant que représentants de la communauté des chercheurs et universitaires travaillant sur la laïcité, les phénomènes religieux et les fondements symboliques du lien social, exprimer notre soutien à Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité, et à Nicolas Cadène, qui ont su, durant tous ces événements, maintenir contre vents et marées cet organisme dans sa juste fonction: fournir des informations objectives remontant du terrain, prévenir et souligner les dérives contraires à la laïcité, laisser s’exprimer les différentes tendances des mouvements de promotion de la laïcité, permettre un dialogue constructif avec les représentants des grandes religions, et enfin rappeler inlassablement les textes en vigueur, de la loi de
1905 jusqu’à nos jours. Nous incarnons des courants variés, parfois très divergents, mais, au-delà de nos différences, nous reconnaissons unanimement le travail salutaire de Jean-Louis Bianco et de Nicolas Cadène à la tête de l’Observatoire. Et il est, à notre sens, absolument indispensable que ce travail continue.
Nous vous prions de bien vouloir croire, Monsieur le Président, à l’expression de notre plus vif respect et de notre plus grand dévouement. »

26 janvier 2016

A Evreux, la nouvelle municipalité bafoue la liberté d'expression et de réunion


Denis Collin écrit : « Évreux : La mairie vient de refuser à l’association la Libre Pensée une salle au motif que la Libre Pensée étant hostile aux religions lui prêter une salle contreviendrait à la loi de 1905. Le monsieur responsable de cette argutie ignore que les principaux initiateurs de la loi de 1905 (dont Aristide Briand) étaient d'éminents membres de la Libre Pensée. Mais passons: il ne faut pas demander de la culture historique à un élu…inculte !
Ce qui est gravissime, c'est que la municipalité d'Évreux met hors-la-loi la critique anti-religieuse...et viole du même coup la loi fondamentale de la république.
Je tiens à la disposition de qui m'en fera la demande la réponse de M. Ludovic Bourrellier, adjoint au maire et conseiller départemental, un petit chef-d'œuvre du genre, y compris dans l'art de la conjugaison des verbes irréguliers...
Faites connaître cette information à vos amis. »

Mon commentaire : La lettre de l’adjoint au maire, que je publie ci-dessous, livre une interprétation partisane et excessive de la loi de séparation de l’église et de l’Etat. La laïcité à la nouvelle sauce ébroïcienne, interdirait la critique des religions et les associations se livrant à une telle critique se mettraient ainsi hors la loi.
La laïcité c’est le droit de croire, de ne pas croire, de pratiquer une religion ou pas, d’exprimer sa liberté à l’égard de telle ou telle croyance. Elle est le symbole de la neutralité de l’Etat. La municipalité d’Evreux, pour s’en tenir à son rôle, ne devrait pas s’immiscer dans le débat légitime opposant les croyants aux non croyants.

Autant les croyants ont le droit de faire du prosélytisme et ils ne s’en privent pas, autant ceux qui ne croient pas ont le droit et le devoir de faire de même et on ne doit pas les en priver. Accorder une salle de réunion à une association déclarée fait partie des obligations morales d’une municipalité sauf, évidemment, à ce que cette association dispense des propositions délictuelles. Ce n’est évidemment pas le cas de la Libre Pensée, association créée au milieu du 19e siècle et dont les idées influencèrent grandement la loi de 1905. Victor Hugo, Louis Blanc, Clemenceau, Ledru-Rollin…étaient amis de la Libre pensée.
Il aura donc fallu qu’une municipalité, a priori républicaine, fasse preuve d’un zèle injustifié pour priver une association de la capitale de l’Eure du droit de réunion dans un local public. Au-delà de la méprisable attitude de l’élu cité plus loin et du maire qui le couvre, il convient d’insister sur le parti pris inadmissible d’élus censés représenter l’ensemble de la population ébroïcienne au sein de laquelle figurent des hommes et des femmes libres penseurs et fier(e)s de l’être.

25 janvier 2016

La ligue des droits de l'Homme contre la poursuite de l'Etat d'urgence


Manuel Valls vient de déclarer, à l'occasion d'une interview accordée à la BBC, concernant la reconduction de l'état d'urgence en France : « Tant que la menace existe, nous devons employer tous les moyens dont nous disposons dans notre démocratie, dans le cadre de l'état de droit, pour protéger les Français ». Il semble également ressortir de ses propos qu'il souhaite maintenir cet état d'exception  « jusqu'à ce qu'on en finisse avec « Daesh ».
Ainsi, si on tire les conséquences des propos du Premier ministre, les craintes des citoyennes et des citoyens et des organisations de la société civile mobilisés contre le maintien de l'état d'urgence sont confirmées. Le gouvernement et son Premier ministre semblent s'engager dans la volonté de faire vivre notre pays dans un état d'exception en s'accordant des pouvoirs considérables en dehors de tout contrôle du juge judiciaire. Ne nous y trompons pas, renvoyer le retour au fonctionnement normalement démocratique de notre société à une hypothétique victoire aux contours incertains contre le terrorisme international, c'est prendre le chemin de l'arbitraire et de l'atteinte aux droits fondamentaux.
La LDH s'insurge contre de telles perspectives qui semblent se préciser dans les discours de nos gouvernants et s'engagera toujours plus résolument pour un retour au plein exercice de nos droits et de nos libertés. C'est le message qu'elle portera, avec plus d'une centaine d'autres organisations, lors des nombreuses manifestations qui se dérouleront un peu partout en France le samedi 30 janvier. »
(Commmuniqué de la LDH)

24 janvier 2016

François Mitterrand, un homme d'ombre et de lumière…par Eric Roussel devant la Société d'études diverses de Louviers


Eric Roussel. (photo JCH)
500 livres ! 500 livres consacrés à la vie de François Mitterrand, sa longue carrière, son caractère bien trempé, sa forte présence dans l’histoire, sa place : à droite et à gauche. Romantique mais croix de feu, cynique mais intelligent, distant mais tellement fidèle en amitié, machiavélique et ambivalent, de gauche puis socialiste…François Mitterrand fut tout cela à la fois et toujours en même temps. Quel parcours, quel héros de roman. 

Dans son livre « De l’intime au politique » Eric Roussel, biographe, fait découvrir de nouvelles facettes de ce personnage d’exception, facettes qu’il a développées ce samedi devant les nombreux auditeurs invités par la Société d’études diverses dans la salle…du nom de Pierre Mendès France si dissemblable de l’ancien président de la République et en même temps tellement proches dans l’action à l’époque de la 4e République et jusqu’en 1981.

Eric Roussel est formel. S’il a été Croix de feu, François Mitterrand n’a jamais été cagoulard. Sa formation familiale de jeune bourgeois catholique le conduit à droite très tôt si bien qu’après son évasion de captivité (elle va changer son regard déjà acéré sur le monde) il devient un farouche supporteur de Pétain et de la Révolution nationale (1) ! A la mi-43, il entre en résistance et devient responsable du principal mouvement de prisonniers de guerre…un million d’hommes longtemps en quête de reconnaissance. Entre temps, Marie Louise terrasse (la future Catherine Langeais) dont François Mitterrand est éperdument amoureux a changé de fiancé, un refus qu’il ne parviendra jamais à vraiment surmonter. Eric Roussel lit même dans ce rejet de 1942 la naissance d’un cynisme dont François Mitterrand ne se départira plus jamais.

Le public de la Société d'études diverses. (photo JCH)
Le ministre de la 4e République…l’Outre mer et l’autonomie des peuples africains, le collaborateur de PMF au gouvernement et à l’Intérieur, l’affaire des fuites (2) l’Algérie et les exécutions de militants du FLN puis l’arrivée au pouvoir de son adversaire éternel, le général de Gaulle, conduisent François Mitterrand à sa traversée du désert. Pendant 23 ans, la gauche est absente du pouvoir mais cette période lui permet de concrétiser sa stratégie d’union de la gauche avec les communistes, de prendre le Parti socialiste en 1971 au nez et à la barbe des anciens de la SFIO et de se lancer vraiment à la conquête du pouvoir. Il gagne largement la confiance des Français en 1981.

Rapidement l’homme de Jarnac prend ses aises dans cette 5e République qu’il a honnie. Le monarque républicain surtout intéressé par la politique étrangère se moque malheureusement un peu trop de l’économie dans des nationalisations à outrance (laquelle se venge aujourd’hui) qui vont faire la richesse des porteurs d’obligations mais fait voter l’abolition de la peine de mort, libère les ondes, impose la 5e semaine de congés payés et se lance dans une grande politique culturelle et architecturale pensant ses deux septennats. Personnellement, je regretterai toujours certains reculs comme ce grand service public et laïque de l’éducation nationale condamné par la manif des ultras conservateurs ou « l’oubli » du vote des étrangers aux élections locales auquel la majorité des Français demeurent soi-disant hostiles…mais ne l’étaient-il pas également à la suppression de la peine de mort ?

Le second septennat vaudra surtout pour sa rivalité avec Michel Rocard, une grande habileté dans la cohabitation avec la droite, une politique européenne de conviction, grâce à Helmut Kohl aussi, même si Eric Roussel ne considère pas François Mitterrand comme un visionnaire. S’il a réussi l’Euro et l’acte unique, il a été surpris par la réunification de l’Allemagne et la disparition de l’URSS comme il l’avait été en mai 1968 pendant les événements d’un mois dans lesquels il lisait un monôme d’enfants gâtés. Il était l’homme d’une génération, d’une culture d’avant-guerre, il n’aimait pas trop le changement.

François Mitterrand à Louviers en 1981. (photo JCH)
Courageux. François Mitterrand l’a été moralement et physiquement. Atteint d’un cancer de la prostate dès sa prise de pouvoir en 1981, il fera face à la maladie à la fin de son second septennat avec une abnégation admirable se croyant même guéri en 1988 d’où sa candidature à la présidentielle de cette année-là. Peut-être cette maladie a-t-elle influencé certaines prises de décision…d’autres considèrent qu’il se trouvait en possession de 100 % de ses moyens intellectuels.

Il reste que François Mitterrand, selon les propos de François Loncle venu raconter ses déjeuners avec celui qui a imposé sa candidature à Louviers aux législatives de 1978, aura été « un grand président », un homme d’état à la hauteur de l’histoire. C’est incontestable. Même si l’homme n’a jamais exprimé de regrets ou de remords sur ses actions au pouvoir, nous avons été nombreux à déplorer en leur temps les aspects ombrageux voire scandaleux de certaines de ses actions : l’affaire du rainbow warrior, celle des Irlandais de Vincennes, Tapie au Gouvernement, son amitié avec Bousquet dont on dit qu’il lui a sauvé la vie sous l’occupation, le secret de l’existence de Mazarine et les écoutes…sans oublier le faux-vrai attentat de l’Observatoire où François Mitterrand a été la victime constante d’une manipulation du pouvoir.

Je ne veux pas rester sur ces remarques négatives. Très attaqué par la droite, dans un contexte international difficile (mais n’est-ce pas le lot commun des dirigeants ?) face à un parti communiste rapidement hostile et une deuxième gauche soupçonneuse, François Mitterrand a su conserver des lignes de force et s’appuyer sur des valeurs fondamentales. Le livre d’Eric Roussel foisonne de détails et de faits nouveaux. Quel délice, ces lettres à sa cousine devenue son amante de consolation ! Quelle plume !

(1)  Il a toujours nié avoir eu connaissance du statut des juifs après son retour de captivité mais il ne pouvait ignorer l’ostracisme du régime à l’égard des francs-maçons, des socialistes, des communistes et des progressistes en général.
(2)  PMF fit ouvrir une enquête par la DST sur l’auteur de fuites provenant du conseil de la défense nationale. Il n’en fit pas part à François Mitterrand, suspecté mais innocent, qui restera affecté toute sa vie par ce manque de confiance.