27 avril 2016

« Pierre Mendès France, la République en action » un livre de Françoise Chapron

Pierre Mendès France à Louviers. (photo Jean-Charles Houel)

 « Pierre Mendès France incarnait tout à la fois raison, rigueur, pragmatisme, et franchise envers les électeurs. » Cette phrase de Françoise Chapron, extraite du livre qu’elle consacre à l’ancien Président du conseil, ancien député de l’Eure et maire de Louviers, illustre à merveille les qualités font fit preuve cet homme d’Etat exceptionnel qui jamais ne transigea avec les principes acquis dès sa jeunesse.

Françoise Chapron, ancienne universitaire, raconte comme personne l’homme Pierre Mendès France. Elle sait tout de lui, de son action dans l’Eure ou de son court passage à la tête du gouvernement de la France, ce fameux gouvernement de 7 mois et 17 jours. Ce laps de temps, insiste-t-elle, fut toutefois suffisant pour engager des réformes fondamentales, défricher des chemins aussi prometteurs que la décolonisation avec l’Indochine et la Tunisie, tenir tant de promesses économiques ou liées à l’international dans ses relations avec l’Est ou le monde anglophone. Pierre Mendès France, pour Françoise Chapron et beaucoup d’entre nous est une icône. Il représente l’homme politique dans ce qu’il a à la fois de plus grand et de plus humble. Il avait confiance dans l’intelligence collective citoyenne. Il misait sur l’intelligence de chacun et de chacune. Pari intenable, espoir utopique ?

Inauguration du nouveau pont à Pont-de-l'Arche. (DR)
Dans « Pierre Mendès France, la République en action », Françoise Chapron nous permet de mieux connaître l’homme qui fit de l’Eure et de Louviers ses fiefs d’influence de la base au sommet de l’Etat. Député en 1932, sous-secrétaire d’Etat de Léon Blum et fervent soutien du Front populaire, animé des plus hauts idéaux de progrès et de justice sociale, sans jamais céder à la démagogie, celui qui allait devenir maire de Louviers et conseiller général de Pont-de-l’Arche, a sublimé les mandats qu’il tenait de ses électeurs, sa priorité. Il ne négligeait rien, n’ignorait personne, respectait chacun de ses interlocuteurs et surtout plaçait haut l’intérêt général. C’est ainsi que s’explique son engagement constant au service de valeurs immuables : le droit, l’honnêteté, la loyauté et le respect de la parole donnée. Ses rapports avec le général De Gaulle, pendant la guerre, à ses côtés, ou contre le même homme après le « coup d’état » du 13 mai 1958, s’expliquent par cette permanence de la recherche de la sincérité.

Françoise Chapron livre en détail — fait rare — l’action de PMF dans l’Eure (de 1928 à 1958) où il présida le conseil général lors de la reconstruction d’un département sinistré. Les ponts, les routes, les villes, l’agriculture…« rien ne s’y fit sans la présence et le soutien de Pierre Mendès France. » Elle explique également comment PMF traça les chemins de l’avenir dans ses votes au Parlement. Jamais il ne céda à la facilité (il fut le seul à voter contre la participation de la France aux JO de Berlin en 1936) et il fallait être bien courageux pour refuser la politique économique de l’immédiat après-guerre ou la volte-face de Mollet en Algérie.

Pierre Mendès France fut-il un homme seul ? Françoise Chapron ne le pense pas. S’il fut parfois un peu isolé politiquement, victime des jeux ambigus de la 4e République et des partis, il ne se coupa jamais de ceux qui lui avaient accordé leur confiance. Son chagrin lors de sa défaite en 1958 n’était pas feint. Ne cherchons pas ce sentiment ailleurs que dans sa fidélité à ce lien avec l’électeur, son souci de la pédagogie de l’action, sa volonté de faire comprendre et partager les politiques qu’il menait ou qu’il défendait. A cette époque, pas de conseiller en communication mais un homme vrai et des causeries radiophoniques en direction des jeunes et des citoyens en devenir. La preuve par l’explication bien avant Ségolène Royal…

Le livre (1) de François Chapron sort à point nommé. Alors que la gauche s’éparpille et s’émiette faute d’incarnation forte, on a besoin de figures idéalisées, peut-être, mais servant de référence morale et programmatique. A gauche (je ne parle pas de la droite) il nous manque des Mendès France, des hommes ou des femmes qui font ce qu’ils (ou elles) disent, qui disent ce qu’ils (ou elles) font. Des hommes et des femmes peu sensibles aux effets médiatiques, aux sondages ou autres fariboles du moment.Des hommes et des femmes pour qui les idées et les programmes demeurent prédominants.

Je ne saurais trop conseiller la lecture de ce livre qui rassure. Avec Pierre Mendès France la politique n’est ni sale ni compromettante, elle est un art forcément difficile où le citoyen y a toute sa place et doit jouer tout son rôle. Merci à Françoise Chapron de nous le rappeler avec talent  car « le message politique de PMF demeure d’une brûlante actualité. »


(1) « Pierre Mendès France, la République en action » Editions Infimes, 186 pages, 13 €.


25 avril 2016

La liberté de la presse ne s'use que si l'on ne s'en sert pas


Claude Cornu a animé le débat. (photo JCH)
Il me faut revenir sur le débat qui a succédé à la conférence de Mme Cécile-Anne Sibout, samedi dernier, devant la SED de Louviers et consacrée à l’histoire chaotique du quotidien Paris-Normandie aujourd’hui à l’agonie. Beaucoup a été dit mais beaucoup reste à dire. On ne peut pas parler impunément d’un sujet aussi important que la mort éventuelle de la presse locale sans en mesurer les conséquences fâcheuses pour les salariés des entreprises de presse dont le métier serait brutalement remis en cause, pour les lecteurs privés de leur priorité au petit café du matin, pour tous ceux et celles, enfin, préoccupés du sort d’un outil d’informations générales et d’un moyen au service de la vie démocratique régionale.

Qu’est-ce qu’un journal local ? A quoi sert-il ? Pourquoi défendre ce type de presse moins « noble » (1) apparemment que la presse nationale mais non moins utile aux habitants d’une région ? La presse locale est un reflet de la vie d’un territoire, d’une ville, d’un département, d’une région. Elle sert à rendre compte des actions des élus, de leurs projets, mais aussi des activités des institutions, des associations, des clubs sportifs, des événements qui jalonnent le cours de l’existence commune (faits divers, communiqués, carnet, concerts, spectacles, etc.) ainsi que du présent et de l’avenir des entreprises, qu’il s’agisse des créations d’emplois ou sujet plus délicat des conflits entre salariés et directions…

La presse locale, pour peu qu’elle soit animée par des journalistes passionnés et curieux, porte aussi des regards sur des sujets et des hommes ou des femmes ignorés, inconnus, volontairement ou non. Elle met au jour des scandales ou des conduites « immorales » ou délictuelles, elle rend compte des procès prud’homaux, correctionnels, aux Assises et des actes que la loi récuse ou condamne. La presse locale est une vigie vigilante…elle demeure, à sa façon, un lanceur d’alerte. Pour ce faire, il lui faut des dirigeants compétents, indépendants des groupes financiers et des groupes de pressions de tous ordres pour que les journalistes demeurent libres de leurs choix et de leur vision du monde. Le pluralisme doit ainsi permettre d’exprimer toutes les contradictions de la société.

J’aime à assurer que la presse locale est un lien, un liant. Elle permet dans un espace réduit, à ses habitants de partager un destin commun. Les jeunes adultes ne lisent pas ou alors très peu, la presse locale. Question d’éducation et de culture. Et c’est là que le bas blesse. L’avenir s’assombrit dès lors que le renouvellement des lecteurs n’existe plus. Mon amie, Nelly Guilbert, assure que les blogs peuvent être ces nouveaux supports d’information globale. Ils en sont assurément l’un des vecteurs. Mais il n’existe que peu d’exemples (le Bondy Blog, le blog de Me Eolas) de blogs ayant pignon sur rue. Ce moyen d’expression n’en est pas à ses balbutiements pourtant il est encore loin d’avoir atteint un degré de performance et de confiance comparable à celui de la presse écrite. Question de temps sans doute.

Le contre-exemple nous est donné par les sites d’actualité régionaux promus par des mécènes disposant de certains moyens financiers. A l’exemple de Médiapart, je rêve d’une France et de régions peuplées de sites Internet aptes à rendre compte de la diversité des opinions, des sources courageuses aussi car sans elles, il n’existe pas de journalisme d’investigation dignes de ce nom. Un mot enfin sur la volonté exprimée par François-Xavier Priollaud sur son désir d’aider la presse locale en achetant des pages d’informations générales et d’intérêt public. Quand Paris-Normandie aura rendu son dernier soupir, notre région subira le monopole de Ouest-France. Je ne vois pas une collectivité territoriale soutenir un unique groupe de presse régional (du Tréport à Royan) au nom du pluralisme. Et encore moins au nom de la liberté…

(1) Mon expérience au sein de La Dépêche de Louviers me permet de penser que le journaliste localier est considéré par ses confrères parisiens comme un « prolétaire » titulaire de la carte de presse, certes, mais ne devant pas être comparé aux soi-disant maîtres de la plume…

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24 avril 2016

La presse locale est-elle morte ? Cécile-Anne Sibout annonce sa fin prochaine devant la SED de Louviers


Cécile-Anne Sibout. (photo JCH)
La presse locale a-t-elle encore un avenir ? Pour l’écrire autrement, la presse locale est-elle morte…ou sur le point de mourir ? Le modèle économique sur lequel elle a été bâtie : acheteurs, abonnements, publicité…n’est plus viable. La concurrence des réseaux sociaux et des sites d’informations met à mal cette presse trop longtemps cloisonnée dans un carcan idéologique « neutre » ne permettant pas au lecteur de ressentir une humeur, de vivre des émotions ou d’apprendre sur le monde alentour. Pourtant, cette presse a connu ses trente glorieuses. Après guerre et jusque dans les années soixante dix la presse locale touchait de nombreux citoyens, les taux de pénétration étaient exceptionnels et de nombreuses plumes de qualité exerçaient leur métier d’informateurs avec une vraie passion et aussi une vraie reconnaissance économique.

La conférence donnée par Mme Cécile-Anne Sibout, samedi dans la salle Pierre Mendès France de Louviers et consacrée à l’histoire de Paris-Normandie a ouvert bien des chemins. D’un grand quotidien régional tirant à 180 000 exemplaires sous la direction de Pierre René Wolf, le journal de l’Eure et de la Seine-Maritime ne diffuse plus qu’à 40 000 exemplaires ? Placé en procédure de redressement judiciaire, le groupe Ouest France attend patiemment que le quotidien rouennais termine sa vie de sa « belle » mort ou plutôt soit condamné à la liquidation, les biens matériels (imprimerie, locaux, bureaux régionaux) ne représentant plus que les seuls actifs.

Il y a belle lurette, en effet, que Paris-Normandie n’est plus le journal de référence régional haut normand. La cause ? Les multiples conséquences de la mainmise de Robert Hersant d’abord et de son fils ensuite lors de tractations peu morales et à une gestion déplorable de contrôleurs à la petite semaine intronisés directeurs de journaux. Quand il y a à ce point fêlure entre les lecteurs de bilans et ceux qui ont soif de nouvelles, la chute finale n’est jamais loin. François Charmot, ancien journaliste de PN et membre de la SED, organisatrice de la conférence, a témoigné de la lente agonie du journal qui l’employait. J’ai moi-même rappelé comment La Dépêche avait fini par tomber dans les mains de Ouest-France après que le groupe Hersant avait racheté l’hebdo de l’Eure en 1994 et en avait fait plus une feuille qu’un outil culturel ou d’enquêtes. On ne peut tout miser sur les gratuits de publicité et en même temps attendre des journalistes et des lecteurs un succès éditorial…Et pourtant, si j’en crois la conférencière, l’avenir d’une presse digne de ce nom résiderait dans le développement de l’investigation, de papiers personnels et de magazines, dans la conquête d’une nouvelle clientèle rajeunie et renouvelée comme dirait l’ancien maire de Louviers, Franck Martin.

François-Xavier Priollaud, maire et conseiller régional, est conscient de la fragilité de la presse locale. Il pense pouvoir l’aider en incitant la Région à acquérir des espaces de publicité pour faire de l’information d’intérêt général plutôt qu’en éditant elle-même son journal. L’ancienne majorité de gauche privilégiait l’approche interne. Celle de droite semble préférer la délégation…on verra à l’usage sachant que la région compte plus de trois millions d’habitants, que cinq départements très dissemblables la peuplent et que le nombre important d’hebdomadaires est trompeur puisque dans les mains du seul groupe Ouest-France bientôt unique diffuseur de presse papier dans notre région. Cette situation de monopole n’est pas saine car la démocratie a besoin de pluralisme. Je sais bien que l’Etat aide la presse d’opinion en difficulté et que la presse locale a nécessairement besoin d’élargir son champ de convictions. Le groupe Ouest France, fort diversifié, n'a pas besoin des aides directes de l'Etat…Il vit sur ses acquis et ses parts de marchés. Jusqu'à quand ?

FX Priollaud veut aider la presse locale en achetant des espaces.
Les aides indirectes (taux de TVA, tarifs postaux, aides fiscales) bénéficient, elles, à l’ensemble des journaux contrôlés par l’OJD (office de justification et de diffusion) mais cette presse sous perfusion ne sera jamais guérie des maux qui la rongent : le vieillissement du lectorat, le désintérêt des jeunes (ils préfèrent les Smartphones !) l’absence d’interactivité si prisée des lecteurs d’aujourd’hui (avec son pendant négatif l’anonymat) et aussi le contenu… à l’évidence, il faudra plus que la vie assez banale des associations pour attirer de nouveau les lecteurs vers la presse de proximité. Et Cécile-Anne Sibout d'insister sur l'obligation faite aux journaux locaux, s'ils veulent survivre, de se tourner vers l'investigation.

Alors quelles solutions ? La création de sites régionaux type Mediapart, est-elle possible, est-elle souhaitable ? Daniel Jubert, ancien directeur d’un journal du groupe Hersant, y est favorable : La réussite économique du site créé par Edwy Plenel est éclatante : 115 000 abonnés, des bénéfices sensibles en fin d’année, des journalistes professionnels chasseurs de scoops et auteurs d’articles profonds, une rédaction conséquente, seul bien réel de la société car bien immatériel culturel irremplaçable. Et surtout outil de contrôle démocratique des élus en place. Sans Médiapart, par d’affaires Bettencourt ou Cahuzac !

A ce titre, les blogs (dont le mien) animés par des bénévoles concernés peuvent également jouer un rôle dans la diffusion des informations locales avec tel ou tel angle permettant, comme on dit, une mise en perspective des informations. Cela nécessite du temps, de la curiosité, une volonté de partage et aussi le désir de continuer à apprendre. Aucun événement n’est banal. Dès lors qu’on l’explique, on entre dans ce monde mystérieux et divers des comportements humains. Voilà un sens à donner à la vie. Bien sûr, on aurait besoin d’un Paris-Normandie de la belle époque. On ne refait pas l'Histoire.