5 décembre 2017

La campagne « euphorique » et gagnante de Pierre Mendès France à Grenoble : Déjà cinquante ans…


Georges Kiejman, l'ami mendésiste.©JCH
Léone Nora est présente. Cette vieille dame digne et élégante, ancienne collaboratrice de Pierre Mendès France n’a pas voulu rater la commémoration du 50e anniversaire de l’élection de PMF dans la seconde circonscription de l’Isère en 1967. Michel, le fils de l’ancien maire de Louviers et Joan son épouse, sont également assis dans les travées de la salle Colbert de l’Assemblée nationale où ils ont été rejoints par Pierre Joxe, ancien président du Conseil constitutionnel ou encore François Loncle, successeur de PMF à Louviers et cela pendant 32 ans. Des témoins grenoblois ont également fait le voyage.

Emmanuel Laurentin, médiateur, a toutes les peines du monde à obtenir raison d’un matériel de diffusion capricieux. La salle a tout de même revu et réécouté le débat contradictoire qui opposa PMF et Georges Pompidou quelques jours avant le premier de l’élection législative de 1967. Quel débat, ponctué de cris, de vociférations, d’insultes…dans une salle majoritairement hostile (avec la présence du SAC de sinistre mémoire). PMF fit front avec un sang froid et un sens de la répartie acquis au fil des campagnes euroises pas toujours paisibles (1).

André Azoulay, président de l'IPMF.©JCH
PMF à Grenoble et pas dans l’Eure en 1967 ? Alors même que les Lovériens se sentaient orphelins de leur grand homme, déjà en 1962 à Evreux (2) ils le voyaient partir dans le Dauphiné, coupant définitivement le cordon avec son département de cœur et d’action ! Georges Kiejman — il a le sens de la formule — souligne que « Grenoble a choisi PMF plus que lui n’a choisi Grenoble. » En effet. La ville d’Hubert Dubedout connaît alors un développement industriel sensible, les forces politiques de gauche (excepté le PCF), les intellectuels, les syndicats, vibrionnent et l’environnement universitaire se montre favorable à l’homme du « discours à la jeunesse ». Car PMF, toujours, a le regard tourné vers l’avenir. Et le PSU, notamment, à ce moment de l’histoire, est un parti politique qui compte. Michel Hollard, présent à Paris, hier, le jeune secrétaire fédéral de ce parti à 26 ans, a pris le temps d’expliciter le contexte local en soulignant les contradictions internes à la gauche mais aussi les avantages de la personnalité accueillie dans sa ville : l’action, la rigueur, la vérité, le rôle du citoyen, dont Georges Kiejman assure que PMF en avait une idée sublimée !

Face à ce dernier, un gaulliste ordinaire. C’est d’ailleurs pourquoi Pompidou avait souhaité l’aider dans le combat local. Il faut se souvenir du contexte. En 1967, les forces de gauche ont le vent en poupe, pour la première fois depuis 1958, il existe une chance de les voir majoritaires au Palais Bourbon. La séquence dans laquelle Pompidou interpellé par PMF sur ce qu’il ferait en cas de défaite de la droite, est révélatrice de la toute puissance de ceux qui allaient susciter la vague bleue en 1968 — en surfant sur la peur et l’anticommunisme — et de la frayeur qu’elle a suscitée dans leurs rangs. Elle est aussi parlante quant au mépris affiché à l’égard d’une gauche alors dominée par le parti communiste français lequel — rappelons le pour mémoire, aux municipales de 1965 à Grenoble — avait exigé le poste de maire et la majorité absolue dans le conseil ! On sait ce qu’il advint…

Avec 54 % de suffrages, PMF gagne Grenoble et revient sur les bancs d’une chambre du Parlement. Mais quelques mois plus tard, mai 68, sa révolte, ses grèves, ses barricades, ses accords de Grenelle, conduisent à la dissolution de l’Assemblée nationale et la victoire écrasante des gaullistes. A Grenoble, Jean-Marcel Jeanneney, bien aidé par les communistes, est élu avec 130 (160 ? soit 0,2% d’écart) voix d’avance du PMF après une campagne indécente et violente. A Grenoble (comme à Louviers d’ailleurs) la droite agite le drapeau noir et effraie le bon peuple. L’idylle n’aura pas duré longtemps. Deux ans après sa défaite, PMF tombe malade et abandonne la politique active non sans commenter jusqu’à sa disparition, surtout à l’international, les principaux événements notamment ceux du conflit Israël-Palestine, où il a tenté de concilier ce qui demeure encore aujourd’hui, inconciliable.

PMF a adoubé François Loncle en 1978.©Jean-Charles Houel
André Azoulay, président de l’Institut Pierre Mendès France, a raison d’évoquer la modernité de la parole mendésiste. Le rôle de l’IPMF est justement de porter haut cette parole dont les échos résonnent jusque dans les discours des principaux candidats aux postes éminents. J’ose évoquer un petit point de désaccord avec Georges Kiejman. Ce dernier, ami indéfectible de PMF, militant infatigable à Evreux et Grenoble, après qu’il eut évoquer le climat affectif des relations humaines aussi denses qu’euphoriques avec PMF surtout pendant la campagne de Grenoble, assure que s’il avait « souvent économiquement raison, PMF eut parfois tort politiquement ». Il cite les premières mesures du gouvernement Mauroy (3) suivies du tournant de la rigueur (économique celle-là !) prouvant pourtant, s’il en était besoin, que PMF avait une fois de plus raison. C’était déjà l’origine du conflit entre PMF et le général de Gaulle à la sortie de la guerre. Avec le temps, on sait maintenant que René Pleven avait économiquement tort. Et le général de Gaulle avec.
(1) J'ai personnellement (javais 10 ans) souvenir d'une campagne violente à la salle des fêtes de Louviers en 1956 avec intervention des paras de « Biaggi »…j'ai retenu ce nom, j'ignore toujours qui cet homme était vraiment. 
(2) lors des législatives de 1962, PMF a fait le choix d’affronter Jean de Broglie, ministre du général de Gaulle dans une circonscription d’Evreux. Il y avait pourtant un désir de Mendès France à Louviers. Le chagrin qu'il éprouva en 1958 (battu au premier tour par Rémy Montagne) était encore trop fort.
(3) J’avais interviewé PMF quelques semaines avant les législatives de 1981 en soutien à la candidature de François Loncle. Il avait refusé de commenter les mesures économiques de l’exécutif Mauroy-Mitterrand. Son silence valait plus que prudence.

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