14 juillet 2017

Les charognards de la presse voyeuriste ne sont pas des journalistes dignes de ce nom


A l'époque du passage à niveau…aujourd'hui disparu.
En juillet 1985, lors du déraillement du Rouen-Paris en gare de Saint-Pierre-du-Vauvray, le hasard et la proximité avaient voulu que je sois le premier journaliste sur les lieux de la catastrophe qui fit 9 morts et 78 blessés. Je n’étais pas seul puisque les sapeurs-pompiers de Louviers m’avaient en quelque sorte, ouvert la route. Ce n’était pas encore l’époque des portables et des appareils numériques. J’avais alerté l’AFP de la mairie de Saint-Pierre après avoir découvert l’ampleur du déraillement du à une collision avec un camion qui avait franchi le passage à niveau de manière totalement irresponsable.
Etre le premier sur les lieux m’avait permis d’approcher de très près les wagons éventrés et de découvrir l’horreur des corps sans vie ainsi que d’entendre les plaintes des blessés tandis que les autres passagers erraient le long des voies.
Si j’évoque ce drame national c’est parce que le jour même de l’accident ferroviaire, j’ai été contacté par des journalistes de Paris-Match. Ils étaient en quête de photos en couleur. Venus à moto sur les lieux tandis que des hélicoptères tournaient au dessus des lieux tragiques, ces « photos reporters » avaient appris ma présence précoce et imaginaient déjà les clichés que j’aurais pu faire et qu’ils auraient exploités. Ayant appris que mes négatifs n’étaient que du noir et blanc (en 1985, la Dépêche n’était pas en couleur) et surtout que je n’avais aucune photographie des morts en situation — étant dans l’incapacité éthique de réaliser ces clichés —  les Parisiens m’avaient traités de « cave ». Pauvre mec provincial : ils m’auraient donné 10 000 francs par cliché ! J’avais raté le gros lot, la notoriété et la Une de Paris-Match. Je m’en suis remis très vite et je n’ai évidemment aucun regret.
Je ne suis donc pas étonné du procès intenté par les familles des victimes de l’attentat de Nice contre le même journal après la parution des images de vidéo-surveillance du 14 juillet 2016. Les charognards du journalisme se repaissent de ces photos chocs (le poids des mots…) qui font vendre du papier et que les voyeurs, conscients ou non, apprécient. La justice saisie n’a pas interdit la vente du journal. Elle a simplement interdit la reproduction sur les sites ou dans d’autres publications de photos susceptibles de nuire à la dignité des personnes.
Franchement, je me souviens très bien de ma première vision à Saint-Pierre. Le corps d’une jeune femme enchevêtrée autour d’un poteau de signalisation m’avait tiré des larmes. Comment aurais-je pu en tirer de l’argent ?